
La militarisation de l’espace : un danger invisible mais croissant — Entretien avec le député Arnaud Saint-Martin
Alors que les tensions internationales s’aiguisent, un front stratégique reste largement absent du débat public : l’espace. Ce territoire longtemps fantasmé comme la dernière frontière scientifique est devenu, depuis des décennies, un champ de bataille silencieux. La militarisation du cosmos progresse, s’accélère et, selon le député Arnaud Saint-Martin — spécialiste reconnu de la sociologie des sciences et des politiques spatiales — elle nous expose, nous Français, comme l’ensemble de l’humanité, à des risques majeurs.
Cet entretien apporte un éclairage nécessaire : comprendre ce qui se joue au-dessus de nos têtes, pourquoi les puissances spatiales s’arment, et comment la France peut encore proposer un autre modèle.
Un rappel nécessaire : l’espace a toujours été une affaire militaire
On imagine souvent l’aventure spatiale comme un long récit de science, d’innovation et d’audace humaine. En réalité, dès les débuts, l’armée a piloté les programmes les plus stratégiques.
Arnaud Saint-Martin rappelle que les premiers satellites américains (Explorer, Corona) avaient une vocation militaire directe : espionnage, cartographie, surveillance. La NASA elle-même, pourtant symbole d’exploration, a longtemps travaillé main dans la main avec le Pentagone, notamment pour développer des systèmes orbitaux utiles à la supériorité américaine. L’Union soviétique faisait évidemment la même chose.
L’espace n’a donc jamais été neutre : il était déjà un outil de puissance. Mais ce qui se passe aujourd’hui va encore plus loin.
De la militarisation à l’arsenalisation : une bascule dangereuse
Arnaud Saint-Martin insiste sur une distinction fondamentale entre militarisation et arsenalisation. La militarisation étant l’usage militaire de l’espace pour observer, communiquer, se géolocaliser, gérer des forces armées au sol etc. Presque tous les pays y recourent déjà.
En revanche, l’arsenalisation est le passage à l’étape supérieure : déployer des armes dans l’espace et être capables de frapper depuis ou vers l’espace. Cela inclut des missiles antisatellites, des lasers aveuglants, des satellites inspecteurs capables d’endommager d’autres engins, drones orbitaux militaires etc. On ne se contente plus d’utiliser l’espace pour la guerre : on prépare la guerre dans l’espace. Or cette logique d’arsenalisation s’accélère.
La course à l’armement spatial : Chine, États-Unis, Russie… mais aussi Inde et Japon
Le rapport de force est clair : les grandes puissances se livrent une compétition agressive pour le contrôle du ciel orbital. Parmi elles, on retrouve, entre autres :
États-Unis
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Création de la Space Force en 2019.
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Déploiement massif de satellites militaires.
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Test d’armes antisatellites non déclaré, mais suspecté par plusieurs agences européennes.
Chine
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Programme spatial militaro-industriel unifié.
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Tests antisatellites réalisés avec succès.
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Constellations d’observation de haute précision.
Russie
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Expérimentations de satellites “inspecteurs” capables d’approcher d’autres engins.
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Développement de missiles antisatellites.
Inde
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Test antisatellite en 2019 qui avait provoqué une pluie de débris.
Japon
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Renforcement du dispositif militaire spatial pour contrer Chine et Corée du Nord.
Nous entrons dans une dynamique de surenchère, avec un risque réel : que l’espace devienne le prochain théâtre d’un conflit majeur.
Des conséquences directes pour les peuples — dont les Français
On imagine souvent ces enjeux comme abstraits. Ils ne le sont pas.
1) Un risque sur nos infrastructures vitales
Nos sociétés reposent aujourd’hui entièrement sur l’espace.
Sans satellites, plus d’Internet, plus de GPS, plus de transactions bancaires, plus de communications militaires, plus de météo fiable, plus de surveillance des catastrophes.
Un seul satellite détruit,
et c’est une partie entière de notre société moderne qui se retrouve paralysée.
2) Une vulnérabilité accrue de la France
La France possède pourtant des atouts majeurs :
• un réseau stratégique de satellites (Syracuse, CSO, CERES),
• des capacités de lancement reconnues,
• un savoir-faire industriel unique et envié dans le monde entier.
Mais face à la montée en puissance des géants chinois et américains, nous risquons la marginalisation. Pas par manque de compétences, mais par manque de vision politique à long terme.
3) Un danger environnemental colossal : la pollution spatiale
Il faut également souligner un phénomène aggravant : la prolifération des satellites commerciaux, en particulier les méga-constellations comme Starlink.
Ces programmes posent plusieurs problèmes majeurs :
• une explosion des débris orbitaux,
• un risque croissant de collisions potentiellement catastrophiques,
• un coût environnemental immense, lié à la multiplication des lancements,
• une privatisation de plus en plus agressive d’un espace qui devrait rester un bien commun.
Nous sommes en train de transformer l’orbite terrestre en une décharge toxique, au profit de quelques multinationales.
Nous avons les moyens… mais pas encore la vision
La France possède pourtant des atouts considérables :
• des ingénieurs de pointe,
• un CNES performant,
• une culture scientifique solide,
• le site de Kourou, atout géostratégique unique au monde,
• une industrie spatiale puissante (ArianeGroup, Thales, Airbus Defence & Space).
Mais, comme le souligne Arnaud Saint-Martin, il nous manque un élément décisif : un véritable projet politique.
Les analyses développées par La France insoumise — dans ses travaux sur les biens communs, la démilitarisation ou encore la “diplomatie de l’espace” — ouvrent plusieurs pistes concrètes :
• sortir l’espace de la logique marchande,
• encadrer strictement les méga-constellations,
• promouvoir une gouvernance internationale de l’espace comme bien commun,
• refuser l’arsenalisation et défendre un usage uniquement civil, scientifique et pacifique,
• investir dans une filière spatiale publique, souveraine et protectrice.
Ces orientations proposent une alternative crédible à la course actuelle à la militarisation : un modèle fondé sur la coopération, la paix et la maîtrise démocratique de l’espace.
Proposer un contre-modèle : souveraineté et coopération
L’enjeu pour la France est double.
1) Assurer notre souveraineté
Cela implique de protéger nos infrastructures spatiales, développer une capacité de lancement réellement autonome et éviter toute dépendance envers des acteurs privés ou des puissances étrangères.
2) Porter une autre vision du spatial
L’espace doit rester un commun universel. Il est non seulement possible, mais urgent, de défendre un modèle alternatif fondé sur :
• la coopération internationale, plutôt que la course aux armements,
• l’exploration scientifique,
• des programmes de recherche partagée,
• plus de transparence sur les activités militaires,
• des règles juridiques strictes pour interdire durablement les armes en orbite.
C’est un choix civilisationnel. Entre une orbite transformée en champ de bataille… et un espace mis au service du progrès humain.
Conclusion : l’espace, notre prochain champ de bataille — ou notre prochain bien commun
L’interview du député Arnaud Saint-Martin nous alerte sur un danger invisible mais très réel :
l’espace est en train de devenir une zone de guerre.
Face aux grandes puissances, la France peut soit laisser faire, soit redevenir une puissance spatiale souveraine et visionnaire, capable de porter un autre futur :
un espace non militarisé, non privatisé, dédié à l’exploration, au progrès humain et à la coopération internationale.
La militarisation de l’espace n’est pas inéluctable.
Le pire n’est jamais sûr — à condition de se mobiliser maintenant.
Nous vous invitons vivement à visionner cet entretien, à le partager et à interagir dans l’espace commentaire.
- Youtube : https://youtu.be/Em2wqsVwBT0
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