Le glyphosate ou comment l’UE nous empoisonne

En proposant la reconduction pour 10 ans, du glyphosate au sein de l’Union Européenne, la Commission a relancé un débat. Les Etats-membres de l’Union Européenne se sont réunis le vendredi 22 septembre, ils se prononceront à la majorité qualifiée le 13 octobre prochain sur cette proposition sachant que le permis d’utilisation expire le 15 décembre. Un tel vote doit représenter 55 % des pays de l’UE réunissant au moins 65 % de la population totale.

En 2021, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a publié, la mise à jour de son expertise collective en matière de «pesticides et santé». qui montre certains effets du glyphosate, notamment comme perturbateur endocrinien. Les indications de l’OMS, l’Inserm, l’Inrae et le Circ  vont toutes dans le même sens.

Mais les agences de santé dans l’UE : l’EFSA et l’ECHA semblent rester sourdes à ces avis concordants. La question est donc de savoir si ces études ont été faites en toute indépendance vis-à-vis de cette chimie à haut risque. Les instances européennes lors de leur dernière évaluation publiée cet été 2023, en vue de la ré-homologation du glyphosate, affirment en effet n’identifier «aucun élément de préoccupation critique». Ce qui explique leur position de proroger le glyphosate durant 10 ans.

Cette autorisation avait été renouvelée le 15 décembre 2022, dans l’attente d’une évaluation scientifique de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). Cette dernière a finalement affirmé « ne pas avoir identifié de ‘domaine de préoccupation critique en ce qui concerne les risques pour l’homme, pour l’animal ou pour l’environnement ». La Commission européenne prend également en compte la position de l’Agence européenne des produits chimiques (Echa), qui, fin 2022, avait estimé qu’en vertu de critères scientifiques, le glyphosate ne devait pas être classé comme substance cancérigène.

Ce qui peut semer le doute et donc rester dans l’immobilisme chez les agences, est ce méfait ô combien cynique, entre autres méfaits: le ghostwriting, écriture fantôme, c’est une forme grave de fraude scientifique, qui consiste, pour une entreprise, à agir en « auteur fantôme » : alors que ses propres employés rédigent textes et études, ce sont des scientifiques sans lien de subordination avec elle mais pour les deux tiers des études liés à Bayer racheté par Monsanto,  qui les endossent en les signant, apportant ainsi le prestige de leur réputation à la publication. Ces derniers sont bien entendu rémunérés pour ce précieux service de « blanchiment » des messages de l’industrie. Dans le plus grand secret, Monsanto a eu recours à ces stratégies comme les fabricants de cigarettes et les géants pétroliers,

Citons François Veillerette, porte-parole de Générations Futures : «Dans le cas du glyphosate, comme pour tous les autres pesticides, il faudrait rapprocher la science règlementaire de la science académique». «La grande majorité des études scientifiques sur les effets du glyphosate ne sont tout simplement pas prises en compte dans les évaluations d’homologation, notamment parce qu’elles ne suivent pas les pratiques de laboratoire jugées comme “fiables” au sein de l’UE. Ces pratiques concernent principalement l’enregistrement de données», procédure trop coûteuse pour les scientifiques et qui n’affecte en rien la qualité des publications. Les États membres pourraient exiger une telle réforme.

La FNSEA se félicite de cette décision, car l’utilisation du glyphosate est rentable : elle ne coûte pas chère, contrairement aux solutions alternatives qui existent, qui coûtent en temps, en personnel et en carburant. Selon un chercheur de l’INRAE, « le glyphosate est un facteur de productivité qui permet de maintenir des prix alimentaires bas. C’est un choix de système alimentaire, de société, qu’il faut faire ». Inutile de préciser que ce débat relancé par la Commission européenne, a suscité la colère des associations écologiques.

La France qui, pour une fois ne s’aligne pas sur la ligne de l’exécutif européen, souhaite uniquement limiter l’essentiel des usages du désherbant aux seuls cas pour lesquels il n’existe aucune alternative viable. En France, le ministère de l’Agriculture s’est d’abord dit «non satisfait» de la proposition de la Commission avant d’évoluer sur une position mi-figue mi-raisin : «Supprimer totalement le glyphosate n’est pas possible partout à l’heure actuelle», déclarait Marc Fesneau le 21 septembre.

Il faut que la France, compte tenu de son poids démographique et agricole, vote contre (mais c’est improbable !) ou du moins s’abstienne lors du vote du 13 octobre prochain pour compromettre le prolongement du glyphosate au sein de l’UE. C’est le moins que l’on puisse espérer de ce gouvernement, mais on voit bien l’intérêt de ne pas se mettre les agriculteurs à dos, donc position, une fois encore du « en même temps ».

La Commission a mis des garde-fous, comme des zones-tampons de 5 à 10m, afin d’empêcher de polluer les champs avoisinants, mais nous savons bien qu’en cas de vent, la vaporisation de cet herbicide ne s’arrêtera pas au seuil du champ voisin et des riverains. Il revient aussi aux Etats-membres d’autoriser l’utilisation de produits contenant du glyphosate, en fixant les règles d’utilisation selon les cultures, conditions climatiques et spécificités géographiques locales. Aux Etats également d’apporter une attention particulière aux effets sur l’environnement et la biodiversité, ou encore d’évaluer l’exposition des consommateurs aux résidus.

Hélas, comme le souligne Xavier Reboud, spécialiste de l’agroécologie à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) «changer les pratiques nécessite de rendre visible le coût environnemental et sanitaire de ce produit», rappelant que le déclin des pollinisateurs va finir par peser lourd. Comment fera-t-on le jour où il n’y aura plus assez de ruches à louer pour assurer la pollinisation des cultures ? Nombre d’études scientifiques n’ont cessé de tirer la sonnette d’alarme concernant les effets dramatiques des pesticides sur la biodiversité, plus particulièrement les insectes et les oiseaux. Il faut aussi sans cesse informer sur l’augmentation du nombre de dossiers d’aide aux victimes des pesticides.

Des alternatives au glyphosate existent et sont déjà utilisées par des grandes exploitations : le désherbage mécanique, celle qui consiste à mettre un obstacle physique, comme le paillage ou les films biodégradables, que la plantule ne sait pas traverser, enfin, celle qui consiste à occuper la place des “mauvaises herbes” pour qu’elles ne puissent pas s’installer, comme ces prairies temporaires dans les zones d’élevage ou l’entre-rang enherbé dans les vignes et les vergers la SNCF consommatrice de 50% du volume de glyphosate consommé en France a montré l’exemple.

En 2017, le président français nouvellement élu avait promis d’interdire le glyphosate sous trois ans, malgré la ré-autorisation de l’UE. Avant de rétropédaler en 2019. En cette fin septembre, il reste deux semaines aux citoyen·nes français·es pour rappeler Macron à sa promesse.

Le Parti de Gauche est opposé la ré-homologation du glyphosate proposé par la Commission Européenne. Nous exigeons  la réforme du système d’évaluation des agences ; que les recherches soient accélérées  et la mise en place d’alternatives déjà existantes encouragées.  Qu’attend-on ?  Qu’il y ait de plus en plus de cancers parmi les agriculteurs ? Des maladies anormales chez les enfants vivant en zone rurale, près d’exploitations agricoles ?

 Christophe Dargent et Pierre Boutry