La ville : un outil d’émancipation

Repenser la ville pour résister au capitalisme numérique : entretien avec l’architecte togolais Sénamé Koffi Agbodjinou

Dans un monde où l’urbanisation galopante semble aller de pair avec la marchandisation des espaces de vie et l’extension sans fin du modèle occidental, il devient plus que jamais nécessaire de repenser nos villes à partir d’autres imaginaires. À travers un entretien passionnant avec l’architecte togolais Sénamé Koffi Agbodjinou, nous avons exploré les limites du modèle de la ville occidentale et les pistes concrètes pour en sortir. Son travail, à la croisée de l’architecture, de l’anthropologie, de la philosophie politique et des cultures africaines, nous invite à résister à l’emprise du capitalisme digital en bâtissant autrement.

Captation vidéo de l’entretien :

https://youtu.be/iVXaJN9dNcw

Une critique radicale de l’urbanisme occidental

Le modèle urbain occidental, dominant à l’échelle globale, s’est imposé à travers l’histoire coloniale et la mondialisation néolibérale comme l’archétype du « progrès ». Il repose sur des principes d’individualisation, de séparation fonctionnelle des espaces, de bétonisation, et surtout sur une conception marchande de la ville. Dans ce paradigme, la ville devient un produit, une vitrine pour investisseurs, un espace à « optimiser » pour générer de la valeur — au détriment du lien social, des usages traditionnels, et de l’environnement.

Ce modèle est aujourd’hui exacerbé par les logiques du capitalisme numérique : la ville devient « intelligente », connectée, surveillée, gérée par des plateformes privées, transformée en terrain de jeu pour les multinationales de la tech. Les habitants ne sont plus que des « usagers », leurs déplacements et comportements monétisés à travers les données. Les mégapoles africaines, loin d’échapper à cette logique, deviennent les nouveaux laboratoires de ces utopies néolibérales — au mépris des réalités sociales et culturelles locales.

Un contre-modèle enraciné dans les traditions africaines

Face à ce rouleau compresseur, Sénamé Koffi Agbodjinou propose un contre-modèle radical : une architecture post-coloniale, enracinée dans les formes sociales et les savoirs traditionnels africains. À travers son projet L’Africaine d’architecture et l’initiative WoeLab à Lomé, il expérimente des formes de construction collective, ouvertes, frugales, inclusives, où les habitants sont co-auteurs de leur environnement.

Pour Sénamé, il ne s’agit pas simplement de revisiter l’esthétique vernaculaire. Il s’agit de réactiver des logiques communautaires, de faire des villes des communs, où les ressources sont partagées, où les usages priment sur la propriété, où la technologie reste maîtrisée et accessible. Dans ce modèle, la ville n’est plus un objet d’investissement, mais un espace de vie, de coopération et d’émancipation.

Une lutte politique contre le capitalisme digital

Cette vision est profondément politique. Elle s’oppose frontalement aux logiques d’accumulation, d’exclusion et de privatisation qui caractérisent le capitalisme digital. En refusant l’urbanisme des plateformes et des algorithmes, en favorisant une autonomie technologique locale, Sénamé propose une forme de résistance concrète et quotidienne à la domination néolibérale.

Ce combat n’est pas seulement africain. Il nous concerne toutes et tous, ici en France, alors que nos propres villes sont livrées aux spéculateurs, que nos espaces publics sont privatisés, que nos infrastructures sont asservies aux logiques de la smart city. Il nous rappelle qu’un autre urbanisme est possible : un urbanisme des communs, de la justice sociale et de la sobriété.

Pour une écologie populaire et décoloniale

En tant que Parti de Gauche, nous reconnaissons dans cette approche un combat commun : pour une écologie populaire, pour la souveraineté des peuples sur leurs territoires, pour une lutte active contre le néo-colonialisme numérique. À l’heure de la crise climatique, sociale et démocratique, les solutions ne viendront pas des centres de pouvoir, mais des marges, des expériences situées, des pratiques collectives de réinvention.

L’entretien avec Sénamé Koffi Agbodjinou n’est pas seulement un échange intellectuel. C’est une invitation à construire autrement — en Afrique comme en Europe. À désoccidentaliser nos imaginaires. À penser la ville comme un outil d’émancipation, et non d’oppression.

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