L’entreprise néolibérale nous rend malades et affaiblit la démocratie : l’urgence de libérer le travail avec Thomas Coutrot

L’entreprise néolibérale nous rend malades et affaiblit la démocratie : l’urgence de libérer le travail avec Thomas Coutrot

La démocratie ne s’arrête pas aux portes de l’usine ou du bureau. Faire du travail un lieu d’émancipation et de débat est le combat prioritaire de la gauche pour restaurer la citoyenneté et faire face aux défis écologiques du siècle. Thomas Coutrot nous donne les armes pour ce combat.

Cette semaine le podcast Trait-d’Union à auditionné Thomas Coutrot, économiste, statisticien et sociologue, spécialiste de la question du travail, et auteur de L’entreprise néolibérale : nouvelle utopie capitaliste (Paris, La Découverte, 1998) et Redonner du sens au travail : une aspiration révolutionnaire (Éditions du Seuil, coll. « La République des idées », 2022)

Chercheur associé à l’IRES, Thomas Coutrot nous livre le diagnostic de son étude de 2024, Le bras long du travail : les règles antidémocratiques qui régissent nos vies professionnelles contaminent notre vie citoyenne et mettent en péril notre capacité collective à nous engager politiquement.

L’analyse de Coutrot part d’un constat simple : nous passons près de la moitié de notre vie éveillée au travail, soumis à un contrat de subordination où l’employeur a le droit de donner des ordres, que nous sommes obligés d’exécuter.

Lorsque cette relation est organisée de manière autoritaire, rigide et avec un contrôle strict (la montée des procédures et du reporting), le salarié développe nécessairement une image de soi dévalorisée et un sentiment d’incapacité et d’impuissance. Selon Coutrot, ce « conditionnement » s’exporte de la sphère du travail à la sphère civique, engendrant la conviction que l’on n’y peut rien et que notre vote ne changera rien. Le résultat est « massif et significatif » : le manque d’autonomie au travail est directement lié à l’abstention.

Mais au-delà du silence du vote, l’organisation du travail détermine aussi la « couleur » de notre colère. L’économiste révèle que le manque d’autonomie, loin de pousser massivement vers l’extrême droite, est nettement corrélé au vote France Insoumise ou Mélenchon.

Cette “frustration” face à l’autoritarisme nourrit une « colère de gauche ». Le facteur déterminant pour l’orientation vers le Rassemblement National, en revanche, est l’impossibilité de s’exprimer sur son travail. Les travailleurs les plus péniblement exploités qui n’ont pas la possibilité de discuter de leur vécu développent une rancœur qui se tourne vers l’extrême droite.

À l’inverse, disposer d’une liberté de parole, même sans obtenir de résultats immédiats, permet de « prendre conscience » de la situation d’aliénation. Cette conscientisation oriente alors le vote vers la gauche.

Cette organisation toxique du travail est d’autant plus absurde qu’elle est économiquement inefficace. Comme le souligne Coutrot, l’autonomie est une condition d’efficacité : seuls les opérateurs de terrain connaissent le « travail réel » et peuvent faire face aux imprévus (clients, usagers, machines). Réduire les marges de manœuvre, c’est réduire la capacité des salariés à faire leur travail correctement, ce qui diminue la productivité et génère des pathologies mentales et physiques, se traduisant logiquement par la flambée de l’absentéisme.

Alors pourquoi cet autoritarisme ? La réponse est politique et non économique. Thomas Coutrot tranche : « le capitalisme est beaucoup plus un système de pouvoir qu’un système de profit ». La préférence patronale pour le contrôle est motivée par la peur que si l’on donne de l’autonomie aux collectifs, ce « germe subversif » ne les amène à contester la répartition de la valeur et la subordination elle-même. Les dirigeants préfèrent donc conserver un contrôle strict, quitte à perdre un peu de profit.

Face à ce système qui non seulement aliène l’individu, mais menace aussi la démocratie et rend impossible la nécessaire reconversion écologique, Thomas Coutrot appelle les forces de gauche à abandonner le vieux logiciel issu du fordisme qui considérait le travail comme nécessairement aliéné, en se concentrant uniquement sur la réduction du temps de travail.

Le seul contre-pouvoir institué dans l’entreprise, le syndicalisme, doit reprendre la main sur le contenu du travail, et non plus seulement sur l' »enveloppe » (salaires, durée). Pour concrétiser cette ambition, le futur Manifeste pour la démocratie du travail propose une refonte profonde du droit d’expression des salariés, une idée qui existe théoriquement dans le Code du travail depuis les Lois Auroux de 1982 mais qui est restée inappliquée, car organisée par l’employeur.

Pour remédier à cette impasse, Thomas Coutrot propose les aménagements suivants, qui visent à donner un pouvoir réel aux collectifs de travail.

  1. La libération de la parole au travail

La première étape est de garantir la liberté de parole. Pour cela, il est impératif que l’organisation de ces réunions d’expression soit confiée aux élus du personnel plutôt qu’à la direction. De plus, pour que les salariés puissent « vraiment discuter entre eux » et que la parole soit libre, ces réunions doivent se dérouler en l’absence de la hiérarchie.

Ces discussions doivent se tenir au niveau des équipes de 15, 20 ou 30 personnes maximum, pour permettre un échange concret et régulier, idéalement tous les mois.

  1. La création des délégués au travail réel

Pour structurer ce droit d’expression, Thomas Coutrot propose la création de nouveaux élus spécialisés : les Délégués au travail réel. Ces délégués seraient élus au niveau des équipes (remplaçant ainsi les anciens délégués du personnel supprimés en 2017).

Leur rôle central serait d’organiser les discussions sur le travail et d’élaborer, avec les salariés, des propositions concrètes sur l’organisation de leur activité. Ces propositions seraient ensuite portées à la direction.

Il insiste sur l’importance vitale de cette démarche : si les salariés peuvent discuter collectivement, ils peuvent mettre en évidence les dysfonctionnements, proposer des améliorations concrètes et, surtout, mobiliser leur intelligence et leur qualification pour assurer une reconversion écologique des activités.

  1. Le levier de la faute inexcusable

Afin que ces propositions ne restent pas lettre morte et pour mettre fin au monopole patronal sur l’organisation du travail, la direction aurait l’obligation de répondre aux propositions du collectif, en acceptant ou en expliquant les raisons d’un refus.

Étant donné que le Code du travail dispose que les employeurs sont responsables de la santé au travail et des atteintes liées à l’organisation, le risque juridique est majeur si la direction refuse. Si un employeur refuse une proposition émanant du collectif et qu’un accident ou une maladie professionnelle survient, pouvant être évité par la mise en place de cette proposition, l’employeur s’expose à la faute inexcusable. Cette faute engage la responsabilité civile et pénale de l’employeur, avec des « conséquences économiques sérieuses pour l’entreprise ».

Ce mécanisme conférerait un « nouveau poids, un nouveau pouvoir aux collectifs de travail d’intervenir sur l’organisation de leur travail ».

Nous vous invitons vivement à visionner cet entretien, à le partager et à interagir dans l’espace commentaire.

 

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